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dimanche 19 septembre 2010

Structure et conjoncture



Ça a commencé avec la logorrhée autour du thème de l'"hyperprésident".



Et puis l'on a constaté que l'hyperprésidence avait du plomb dans l'aile.



Et plus d'un "expert" y est allé de son avis autorisé.



La gauche va devoir déconstruire quoi déjà ? Il faut dire que l'expertise de Fabius ne manque pas de sel, lui qui fut le deuxième premier ministre de Mitterrand, le Mitterrand de la famille extra-conjugale logée aux frais du contribuable, le Mitterrand de l'affaire Greenpeace, consistant en une barbouzardise commise en temps de paix contre une organisation pacifique, dans un pays ami, la Nouvelle-Zélande. Le premier ministre s'appelait... Laurent Fabius, mais le seul éclaboussé dans l'affaire fut - outre les faux époux Thurenge - Charles Hernu, le ministre des Armées.
Je me prends parfois à imaginer ce que dirait Fabius aujourd'hui, si, d'aventure, une nouvelle affaire Greenpeace se faisait jour, lui qui déclarait, à propos de l'affaire Clearstream, qu'aucun gouvernement de pays démocratique ne serait resté en place après un tel scandale. Tout le monde sait qu'à la suite de l'affaire Greenpeace, le gouvernement Fabius a sauté !
Ce bon Laurent Fabius, dont Georges Frêche n'a cessé de stigmatiser le cynisme, et Frêche doit en connaître un rayon !

Les institutions ne vont plus, nous dit Bayrou. Parce qu'elles "allaient" avant ? Parce qu'auparavant, les députés étaient plus présents dans le débat à l'Assemblée ? Parce que le Parlement détenait, autrefois, l'essentiel de l'initiative législative et ne le détient plus aujourd'hui ? François Bayrou aurait-il noté une recrudescence de l'usage de l'article 49-3 depuis 2007 ? Ou se contente-t-il de faire comme à peu près tout le monde, de sentir d'où vient le vent ? A-t-il seulement des griefs précis à adresser au pouvoir actuel en matière de non-respect de la Constitution ? Et à part le fait de s'opposer à une seule personne, dont il aimerait bien prendre la place, Bayrou a-t-il jamais ébauché l'embryon d'un projet visant à faire différemment ?



Exercer son métier de président avec mesure..., nous dit Dominique de Villepin, lequel souhaite avoir un premier ministre plus présent... Pour un peu, M. de Villepin nous déclarerait presque souhaiter avoir un Parlement pesant un peu plus fortement dans la marche des institutions, un Parlement qui sache se faire entendre, en somme. Bien, formidable ! Le problème est que De Villepin ne nous dit pas - et il n'est pas le seul, en la matière ! - en quoi l'actuel hôte de l'Elysée viole la Constitution. Parce que s'il la viole, ça devrait se savoir quand même, non ? Et s'il ne la viole pas, alors le problème est ailleurs, je veux dire à la base, c'est-à-dire dans le texte fondamental lui-même, ce qui veut dire que toutes les critiques visent, sans jamais le dire ouvertement, non pas l'hôte de l'Elysée, mais la Constitution elle-même.

Parce qu'en matière d'application de la Constitution et de respect du Parlement, par exemple, personne n'a oublié le fameux CPE, qui a vu De Villepin embarqué dans une véritable guerilla institutionnelle contre la rue, mais aussi contre son propre camp, et sa tendance à considérer que les députés n'étaient que quantité négligeable, dès lors qu'il avait le soutien du président, lequel, in fine, s'est mué en maillon faible : "le Conseil Constitutionnel valide la loi, mais je ne la promulgue pas !"

On regrettera que Dominique de Villepin ait perdu la mémoire !

Lui aussi a perdu la mémoire, l'ex-fabiusien, qui veut nous faire oublier qu'il fut parmi les plus actifs éléphants socialistes à savonner la planche de leur propre candidate, au point de se réjouir bruyamment après sa défaite. D'autres, à la place de Bartolone et consorts, se feraient hara-kiri ou s'enfonceraient six pieds sous terre, de honte. Mais il faut croire que les éléphants socialistes ont rayé le mot "honte" de leur vocabulaire.

Du bla-bla, purement conjoncturel. Voilà ce que nous offrent les francs-tireurs de la guerilla contre l'"hyperprésidence". Mais n'attendez pas d'eux qu'ils s'attaquent à la structure même des choses, qui fait de la France un régime bien plus voisin du Zimbabwe de Robert Mugabe que de l'Allemagne d'Angela Merkel.

En attendant, l'économie française plonge du nez, tandis que l'Allemagne accumule les records en matière d'excédent commercial, réalisant le tour de force d'absorber les nouveaux Länder en à peine deux décennies, là où un pays gangrené par le bonapartisme et l'hypercentralisation se serait écroulé lamentablement !

Autre chose : n'est-il pas tout de même curieux, de voir comment tous les hôtes de l'Elysée, depuis le premier président de la Vème République, semblent frappés d'une sorte de malédiction de Toutankhamon, leur imposant un parcours du combattant toujours problématique (une réforme institutionnelle ratée pour De Gaulle, deux septennats, deux cohabitations pour Mitterrand, un septennat réduit à un "duennat" pour Chirac), voire une fin de règne à la limite de l'humiliation (les adieux grandiloquents de Giscard d'Estaing) ?

Au suivant !, aurait clamé Jacques Brel.


mercredi 15 septembre 2010

Comédie française



Ce 15 septembre 2010, à l'Assemblée Nationale française, les écharpes tricolores étaient de sortie. La Gauche se livrait à un de ces barouds d'honneur dont les députés français ont le secret. Un mélange de "sincérité et de cirque", Catherine Nay dixit (Europe 1). Et j'avoue que le spectacle avait quelque chose d'impressionnant, et de grotesque en même temps !

La veille, je revois encore la députée socialiste Aurélie Filippetti, cuisinée par Robert Ménard sur la chaîne de télévision ITélé, après son intervention, à l'Assemblée nationale, dans le cadre des questions au gouvernement, à propos des dysfonctionnements dans le management par l'équipe au pouvoir de l'affaire Woerth-Bettencourt. Ménard reprochait, en passant, à la Gauche sa mémoire sélective compte tenu de certaines turpitudes intervenues notamment quand les Socialistes étaient aux affaires ainsi qu'en raison de l'inaction de ministres socialistes de la Justice en matière de protection des sources journalistiques.

Dans l'après-midi de cette interview, la députée Filippetti s'était manifestée à l'Assemblée, lors des questions au gouvernement, confirmant des propos qu'elle avait tenus auparavant.

Lu sur le site de la
Chaîne parlementaire> :

Aurélie Filippetti (PS)
évoque "un woerthgate"
Article publié le 13 septembre 2010 à 14h41

La députée PS Aurélie Filippetti a évoqué lundi "un woerthgate" à propos de la Une du Monde accusant l’Elysée d’avoir violé le secret des sources d’un de ses journalistes travaillant sur l’affaire Woerth/Bettencourt, accusation démentie par l’Elysée.
C’est "une atteinte insupportable à la protection des sources des journalistes. L’affaire Woerth-Bettancourt est de nouveau la cause d’une atteinte inacceptable à l’un des principes fondamentaux de la démocratie : la protection des sources de la presse", a accusé la députée de Moselle dans un communiqué.

Lors du débat sur la loi du 5 janvier 2010 sur la protection des sources des journalistes, "j’avais dénoncé un leurre et un dangereux risque de dérive. Force est de constater qu’en voici la preuve, avec un nouveau scandale digne du Wagergate, que l’on pourrait surnommer le woerthgate", lance-t-elle.

"Déjà la divulgation de PV tronqués d’auditions de témoins, en temps réel, à certains journaux amis avaient révélé combien l’Elysée était prêt à tout pour orchestrer la communication sur l’affaire. Désormais, on connaît la sanction et l’étendue des moyens employés pour contrer la version officielle que veut faire accepter le pouvoir", dénonce-t-elle.

Mme Filippetti a estimé que "l’Elysée doit aujourd’hui répondre de ces atteintes intolérables".

Fin de citation

Ce qui me pose problème, avec certains élus de Gauche, et que Ménard n'a pas évoqué avec Aurélie Filippetti, c'est l'offre de service faite à la droite par certains de ces élus, disposés à soutenir la loi dite "sur le voile intégral", alors même que l'UMP détient la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Parmi ces élus, il y avait notamment Aurélie Filippetti et Manuel Valls - comme c'est étrange, on n'a pas beaucoup entendu Monsieur Valls ces derniers temps ! -. Et voilà les mêmes qui montent au créneau, parlent de violation des droits de l'opposition, voire de crise constitutionnelle (Arnaud Montebourg). Bigre, fichtre, diantre ! Pour un peu, ils nous referaient le coup du Coup d'Etat permanent !

Sur un autre site, voisin de celui-ci, j'avais pris naguère le pari que les socialistes se coucheraient devant la droite dans l'affaire du voile intégral, en "oubliant", par exemple, de saisir le Conseil Constitutionnel. Je maintiens mon pari, parce que je ne crois plus au bla-bla des Socialistes !

1958-2010 : plus d'un demi-siècle que la Gauche française cautionne l'incautionnable, ce régime qui fait de la France le seul régime péroniste d'Europe occidentale, avec ses "cousins" d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie : les Burkina Faso, Zimbabwe, Togo, (deux) Congo, Gabon, (deux) Guinée, et j'en passe... Mitterrand nous a fait le coup : l'autre (De Gaulle) était un dictateur qui violait les principes républicains. Et puis il est arrivé aux affaires, et l'on a vu ce dont il était capable : deux septennats pour rien !

Alors, évidemment, tout est de la faute de la droite, cette droite qui ne respecte pas les droits du Parlement : "Pensez-vous que le Parlement soit respecté dans notre pays ? Dans les autres pays européens, l'élaboration d'une loi sur les retraites a pris parfois au moins un an, tandis que chez nous... !" (Jean-Marc Ayrault sur ITélé, 15 septembre 2010).

Une indignation sélective, toujours conjoncturelle, c'est-à-dire datée, donc sujette à obsolescence, voilà ce que cette gauche nous offre une fois de plus. Parce que nous savons bien que les mêmes se préparent pour 2012, pour le grand cirque de l'élection du roi ou de la reine ! Plus d'un demi-siècle qu'ils nous font le coup de l'indignation sélective et à éclipses..., jusqu'au prochain épisode, à moins qu'un socialiste ne s'installe en 2012 à l'Elysée, et la Gauche oubliera... À titre d'exemple, quelqu'un peut-il me rappeler quelle était la politique africaine du Parti socialiste entre 1981 et 1995, soit quand Mitterrand était président ?

Sans godillots, il n'y a pas de caudillo ! C'est gravé dans le marbre...


CONSTITUTION DE LA Vème RÉPUBLIQUE

TITRE II

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE


Article 5

Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.

Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.

(…)


Article 8

Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.

Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Vous connaissez la nouvelle ? Il paraît que le roi de France, élu en 2007 par les Français, s'apprête à modifier la composition du gouvernement. Et le Landerneau politico-médiatique de bruisser de mille rumeurs, au point que d'aucuns spéculent sur la fin prochaine du ministère Fillon.

Et moi de m'interroger, et de relire la Constitution... Après quoi, je défie quiconque de me citer une ligne, une phrase de la Constitution de la Cinquième République, selon la(les)quelle(s) le président de la République aurait le pouvoir de changer de Premier Ministre, à sa guise !

Le fait est qu'il n'y a pas une phrase, pas une ligne de la Constitution de 1958, révisée depuis, autorisant le Président de la République à changer de Premier Ministre, voire de gouvernement, pour convenance personnelle. Et pourtant, voilà des semaines, voire des mois, que tout le monde spécule, stupidement, bêtement !

Tout le monde, y compris le pourtant brillant Richard Descoings, directeur de... l'Institut d'Études Politiques, à savoir la fameuse Sciences Po...

Quand on (Alain Marschall et Olivier Truchot, Émission Les Grandes Gueules, RMC, 15 septembre 2010) l'interroge sur la composition potentielle du gouvernement français à la suite du remaniement annoncé pour novembre 2010, Descoings a cette réponse : "Je ne prends pas de pari sur une décision qui concerne exclusivement une seule personne (le président de la République)."

Et c'est là que je mets Richard Descoings et tous les professeurs de droit constitutionnel, à Science Po... et ailleurs, AU DÉFI de me citer le passage idoine de la Constitution, qui fait du président de la République l'UNIQUE DÉCISIONNAIRE en matière de remaniement ministériel !

Le texte est pourtant limpide :

Article 8 : Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. (...) Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Mais où diable Richard Descoings a-t-il lu que le président de la République était le seul décisionnaire en matière de remaniement ministériel ? Dans cette affaire, il semble que tout le monde, Descoings inclus, retienne dans un énoncé la seule proposition principale, en oubliant la proposition prépositionnelle (les linguistes parlent aussi de syntagme prépositionnel), sans laquelle la phrase perd tout son sens, ou en tout cas, se trouve complètement édulcorée.


1) [Sur signifie que le procès que désigne le verbe est lié à l'acte ou à la circonstance que désigne le compl.] ;

2) [Sur signifie que le procès que désigne le verbe est lié à l'acte ou à la circonstance que désigne le compl.] : il met fin à ses fonctions... sur la présentation par celui-ci..., ce qui veut dire, en clair, que tant qu'il n'y a pas de présentation de sa démission par le Premier ministre, il n'y a pas de fin possible de ses fonctions ! Et cela vaut aussi pour la nomination des ministres : il faut une proposition du Premier ministre ! C'est écrit noir sur blanc, mais il faut croire que le microcosme politico-médiatique français ne sait pas lire !

Tout le monde (je l'espère, en tout cas...) aura noté qu'ici, le présent de l'indicatif vaut impératif : sur présentation par le premier ministre de la démission du gouvernement..., le président de la République MET FIN... ; en clair, le premier ministre ne lui laisse pas le choix !
Pour preuve que l'article 8 ne laisse aucune marge de manoeuvre au Président de la République :

Article 11

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. [le Président peut, comme il peut ne pas soumettre...].
(…)

Article 12

Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale [le Président peut, comme il peut ne pas prononcer la dissolution.].

Les élections générales ont lieu (impératif) vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
Dans un certain nombre de circonstances, le présent de l'indicatif a bien valeur d'impératif ; en clair (article 8) : si le Premier ministre présente la démission du gouvernement, le Président de la République est dans l'obligation d'obtempérer !

Alors, on va me dire : "Et Chaban-Delmas, viré par Pompidou, et Michel Rocard, viré par Mitterrand !", et là, je réponds qu'il s'est agi, à chaque fois, d'une violation flagrante de la Constitution, tant par Pompidou que par Mitterrand. Voilà ce que et Chaban et Rocard auraient dû clamer bien fort, et ce, dans l'intérêt des institutions et pour éviter toute dérive caudillesque ! En se taisant, Chaban et Rocard ont rendu un mauvais service à la nation.

jeudi 9 septembre 2010

El caudillo



Caudillo : chef, en espagnol, où l'on dit aussi jefe, pour preuve que le caudillo est bien plus qu'un chef. Le terme aurait été appliqué pour la première fois à Francisco Franco, lequel, de 1939 à 1975, présida un gouvernement autoritaire et dictatorial avec le titre de Caudillo : « Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios ».

De 1939 à 1975... Disons que Franco aura eu plus de "chance" que ses mentors, Mussolini et Hitler : un Duce et un Führer.

Caudillo serait ainsi plus proche de dictateur que de simple chef. Dans tous les cas, au 20ème siècle, les caudillos (notamment sudaméricains) ont toujours été des chefs d'Etat, le terme ne s'appliquant que rarement à un simple officier supérieur, par exemple, même si, comme nous dit le dictionnaire, c'est à partir de l'année 1923 que l'on commence à employer le terme de caudillo (chef de guerre lors du Moyen-Âge espagnol) pour désigner Franco, soit une bonne quinzaine d'années avant l'arrivée au pouvoir du futur dictateur espagnol. À ce propos, un intéressant rappel historique nous est offert par
Marie-Danielle Demélas :

Dans la mythologie politique hispanique, le caudillo représenterait l’équivalent de l’homme providentiel français, que les aléas de notre histoire ont fait parfois surgir. Particulièrement fécond au XIXe siècle, quand les républiques sud-américaines ont créé le mot caudillaje pour désigner leur mode de gouvernement, le type s'est maintenu jusqu'à une date récente dans l’univers hispanique : à sa mort, en novembre 1975, Francisco Franco portait encore le titre de Caudillo de España y de la Cruzada. Caudillo d'Espagne et de la Croisade.

Le type du caudillo, populaire mais négligé par les sciences sociales, a été déconsidéré en partie par l’intérêt romanesque qu’il a suscité, et les romanciers — français et hispano-américains — s’y sont intéressés bien davantage que les historiens ou les politologues. La littérature, la pire et la meilleure, a puisé dans ce stock tout un lot de personnages et d’histoires vraies qu’elle s’est efforcée de rendre vraisemblables.

Il est sûr que le destin de ceux qu’on peut désigner sous ce vocable adopta bien souvent des formes théâtrales. En Bolivie, en 1863, le général Melgarejo — qui inspira à Pierre Drieu La Rochelle le héros de son Homme à cheval — se débarrassa du général Belzu, son rival, lors d'un duel au pistolet dans l’une des salles du palais présidentiel. Sous les balcons, les partisans de l'un et de l'autre attendaient l'issue d'un combat qui leur donnerait des prébendes, ou les destituerait.

L'archétype est donc apparu aussitôt nimbé d'une étrange auréole. Car l'être qui dirige ne devient caudillo qu'une fois créé le mythe sur lequel se fonde son autorité. Le dit et l’écrit, anecdotes fabuleuses, chansons, récits anciens, tout ce matériau — un terreau de croyances et de représentations s’appliquant à certaine forme de pouvoir — qui modèle une place unique que plusieurs occuperont à leur tour, voilà ce qui permet l’existence de caudillos. (...)

Comment et quand Vargas emploie-t-il le terme caudillo ? Dans l’ensemble du Journal, on en compte 24 occurrences (ce qui est peu), 20 formes caudillo/caudillos, et 4 du verbe acaudillar sous sa forme active et adjectivée. Caudillo, comme acaudillar étaient employés couramment dans l’univers hispanique, le dictionnaire de Covarrubias Orozco [1611] en témoigne, comme celui, hispano-français, de César Oudin [1675] qui traduit caudillo par chef, capitaine.

(...)

Un peu plus qu'un simple chef militaire, donc, voire bien plus qu'un simple dirigeant : un "caudillo" est quelqu'un qui "en impose", l'objet quasiment d'un culte, ou à tout le moins, d'une admiration ou d'une fascination sans bornes : c'est ce qu'on appelle un homme providentiel.

Pour nous en tenir à l'acception moderne, voire contemporaine du terme, retenons que, qu'il soit ou non d'origine militaire, le caudillo qui veut jouer les hommes providentiels se doit de tomber le masque, je veux dire l'uniforme, surtout s'il envisage de se présenter à des élections disons... démocratiques (comme s'il pouvait exister d'élections non démocratiques ! Mais je me comprends !). Parce qu'un dictateur venu au pouvoir par coup d'État n'a nullement besoin de se déguiser en civil. La plupart le font, pourtant, histoire de rassurer ?

Un avis particulièrement intéressant sur la figure du caudillo nous est livré par un écrivain cubain répondant au patronyme de Canek Sánchez Guevara. Guevara, comme son grand-père, l'illustre Ernesto Che Guevara. Sanchez Guevara à propos d'Hugo Chavez :

Hugo Chávez es un personaje muy extraño. Es una mezcla de caudillo latinoamericano, peronista y guerrillero en tiempos de paz. Utiliza todas las instituciones de la democracia para aniquilar principios fundamentales de la propia democracia. Es un personaje difícil de encasillar, pero a final de cuentas queda claro que es un pobre rico. La alianza entre Cuba y Venezuela es, para La Habana, económica, y para Caracas, política.

Hugo Chavez est un personnage très étrange. C'est un mélange de caudillo latino-américain, de péroniste et de guerillero, en temps de paix. Il utilise toutes les institutions de la démocratie pour détruire les principes fondamentaux de la démocratie elle-même. Il est difficile à classer, mais au final, il est clair que c'est un pauvre riche. L'alliance entre Cuba et le Venezuela est, pour La Havane, d'essence économique et, pour Caracas, d'essence politique.

Comme chacun sait, Hugo Chavez est parvenu au pouvoir d'abord comme putschiste, puis il s'est converti à la démocratie élective, tout en tentant de manipuler les institutions à son profit, sous la forme de plébiscites plus ou moins réussis. Il reste un excellent modèle du caudillo latino-américain, modèle ayant essaimé un peu partout dans le monde.

Précisément, le jeune Guevara évoque le péronisme et la guerilla. Perón : chef suprême et adoré, la guerilla, mouvement de libération nationale composé de héros, dans lequel va pouvoir se construire le mythe de l'homme providentiel. Les exemples abondent : voyez Simon Bolívar, voyez Augusto Sandino, voyez Castro et ses barbus installant leurs bases dans la mythique Sierra Maestra.

Le statut de libertador, de libérateur, est une des faces essentielles du personnage du caudillo, qui va lui servir de viatique pour asseoir sa légitimité, même et surtout en l'absence de démocratie, viatique que l'on pourrait résumer en un slogan : "J'ai libéré le pays, cela m'octroie le droit de le diriger... à ma manière !"

Les guerres de libération..., en voilà une mine d'or pour tous les caudillos et aspirants conducators de la terre. Ils ont résisté à l'envahisseur ou au colonisateur et, en tout cas, ont pris une part fort active à la sauvegarde de l'intégrité de la nation, ou alors ils ont été la cheville ouvrière de l'accession à l'indépendance : au hasard, Staline, Mao, Tito, Nasser, Sékou Touré, Jomo Kenyata, Khadafi...

Et puis, un jour, en France, des journalistes ont eu droit à cette réplique :

Mais pourquoi voulez-vous qu'à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ?

On aurait pu lui répondre que 1) les chiens ne font pas de chats, et que 2) il n'y a pas de fumée sans feu !

Nous sommes en 1958. Source : wikipedia
  • 15 mai : Le général de Gaulle se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République.
  • 16 mai : L’Assemblée nationale instaure l’État d’urgence. Les pouvoirs spéciaux en Algérie sont renouvelés.
  • 19 mai : Conférence de presse du général de Gaulle : il prévient qu’il ne reviendrait pas au pouvoir « selon les rites habituels » et déclare : « Moi seul, je peux sauver la France. »
    21 mai : Le parlementaire Georges Bidault (M.R.P.) annonce son ralliement au général de Gaulle.
  • 22 mai : Antoine Pinay annonce son ralliement au général de Gaulle.
  • 24 mai : Des comités de salut public sont constitués en Corse à l’instigation d’envoyés d’Alger.
  • Dans la nuit du 26 au 27 mai: Rencontre entre De Gaulle et Pflimlin à Saint Cloud.
  • 27 mai : Le général de Gaulle se démarque des nombreuses velléités putschistes de certains militaires français et traite de « braillards d’Alger » les hommes du 13-mai.
  • 28 mai : Démission du président du Conseil Pflimlin et fin de son gouvernement.
    Une grande manifestation antifasciste « pour la défense de la République » est organisée à Paris avec en tête du cortège François Mitterrand, Pierre Mendès France, Jacques Duclos et Édouard Daladier. Le même jour, Coty, dépassé par les événements, charge les présidents des deux assemblées de prendre contact avec de Gaulle.
  • 29 mai : Alors que pèse la menace d’un putsch, le général Charles de Gaulle accepte de former le gouvernement et rassure en disant : « Pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ? »
1958/62. Un général de brigade, obnubilé (depuis au moins 1946 ; cf. le discours de Bayeux) par une carrière politique, va réussir à instaurer en France un régime directement inspiré du modèle sud-américain. Il se trouve qu'il est auréolé du prestige de libérateur, donc d'homme providentiel (l'homme de l'appel du 18 juin 1940) et de sauveur de la nation. Il possède, donc, tous les attributs du parfait "caudillo", et à l'instar de tous ses modèles, notamment sud-américains, il pense que cela lui vaut des droits, notamment celui de diriger, que dis-je !, d'incarner la nation. Et il ne comprend pas que l'on puisse (déjà !) le suspecter d'intentions anti-démocratiques.

1962 : inscription, dans la Constitution, du principe de l'élection du président de la République au suffrage universel, faisant de la France un des rares exemples de régime autocratique ouest-européen (avec l'Espagne de Franco, le Portugal de Salazar et Caetano, puis la Grèce des Colonels, même si ces derniers n'étaient pas élus !) de la deuxième moitié du XXème siècle. Espagne, Portugal et Grèce renoueront avec la démocratie parlementaire, laissant la France comme seul régime "sud-américain" d'Europe occidentale, ayant directement ou indirectement inspiré la quasi-totalité des "démocratures" africaines, continent où l'on ne trouve pas un seul régime parlementaire au sens "britannique" du terme.

Pour mémoire, le "règne" de De Gaulle s'achévera en 1969, à la suite de la tentative avortée d'une réforme portant sur la régionalisation et le Sénat. Le grand homme, conformément à un poncif cher aux caudillos, a voulu se lancer dans un bras de fer, mettant sa démission dans la balance. Peine perdue. Le libérateur de la France, le "sauveur de la nation", n'a pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Il ne survivra qu'une petite année à sa disgrâce.

Un simple coup d'oeil sur la dispersion des régimes caudillesques à travers le monde montre qu'en ce début du XXIème siècle, il n'en reste pas un seul en Europe occidentale, France exceptée, mais qu'ils prolifèrent dans le monde ex-soviétique, tout comme ils sont devenus une spécialité des "démocratures" d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud. Leur principale caractéristique est facile à identifier : effacement des partis politiques au profit de chefs supposés charismatiques, allergie envers le modèle parlementaire, le gouvernement étant dirigé par un premier ministre fantoche et le parlement n'étant qu'un organe d'enregistrement de lois initiées par un président qui décide d'à peu près tout.

Autres spécialités des régimes caudillesques : les barbouzardises en tous genres (ex. en ce moment même, le journaliste Pierre-André Kieffer est toujours porté disparu en Côte-d'Ivoire et d'autres journalistes tombent comme des mouches en R.D.C., sans oublier les "ennuis" divers et variés survenant à des opposants, journalistes ou militants des droits de l'Homme, un peu partout en Afrique). Inconcevables dans tout régime authentiquement démocratique, comme le sont les Etats d'Europe occidentale - France exceptée -, où elles conduiraient automatiquement à la chute du régime, ces barbouzardises prolifèrent là où les lois n'existent que de manière virtuelle ou théorique, dès lors que le parlement, censé les élaborer et les voter, est sous la coupe de l'exécutif, contrairement au principe de la séparation des pouvoirs. Faut-il s'étonner qu'en France, par exemple, avec l'instauration du régime caudillesque de De Gaulle, l'on ait assisté à la prolifération de toute une série d'affaires crapoteuses, rarement élucidées, de la disparition d'un opposant marocain, Mehdi Ben Barka, en plein Paris, à l'attentat contre Greenpeace, en Nouvelle Zélande, sans oublier les disparitions plus que suspectes de dignitaires politiques comme Robert Boulin ou Joseph Fontanet, des écoutes téléphoniques organisées depuis le palais de l'Elysée, en passant par les accointances entre la France et tant de dictateurs du Tiers-monde, notamment dans d'anciennes colonies africaines (cf. La françafrique), dont les dirigeants ont souvent été installés au pouvoir dans le plus parfait mépris des règles démocratiques (cf. la liquidation physique des démocrates camerounais afin d'installer un régime dictatorial toujours en place.). Le fait est qu'à lui seul, le régime instauré par de Gaulle et prolongé par ses successeurs totalise plus de barbouzardises (pensons à l'escapade de Bob Denard aux Comorres, au massacre du métro Charonne ou à celui de la Grotte d'Ouvéa, en Nouvelle Calédonie...) que la totalité des autres pays membres de l'Union Européenne !

Autre chose ? S'il est un sport fort apprécié dans les régimes caudillesques, c'est celui consistant à prendre prétexte du moindre soubresaut social pour mettre entre parenthèses les institutions républicaines et permettre au caudillo de s'octroyer les pleins pouvoirs... Bien évidemment, tout cela est emballé dans un beau jargon de formules creuses et particulièrement floues, destinées à noyer le poisson...

Constitution de la Vème République - Art. 16.

Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L' Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.