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jeudi 9 septembre 2010

El caudillo



Caudillo : chef, en espagnol, où l'on dit aussi jefe, pour preuve que le caudillo est bien plus qu'un chef. Le terme aurait été appliqué pour la première fois à Francisco Franco, lequel, de 1939 à 1975, présida un gouvernement autoritaire et dictatorial avec le titre de Caudillo : « Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios ».

De 1939 à 1975... Disons que Franco aura eu plus de "chance" que ses mentors, Mussolini et Hitler : un Duce et un Führer.

Caudillo serait ainsi plus proche de dictateur que de simple chef. Dans tous les cas, au 20ème siècle, les caudillos (notamment sudaméricains) ont toujours été des chefs d'Etat, le terme ne s'appliquant que rarement à un simple officier supérieur, par exemple, même si, comme nous dit le dictionnaire, c'est à partir de l'année 1923 que l'on commence à employer le terme de caudillo (chef de guerre lors du Moyen-Âge espagnol) pour désigner Franco, soit une bonne quinzaine d'années avant l'arrivée au pouvoir du futur dictateur espagnol. À ce propos, un intéressant rappel historique nous est offert par
Marie-Danielle Demélas :

Dans la mythologie politique hispanique, le caudillo représenterait l’équivalent de l’homme providentiel français, que les aléas de notre histoire ont fait parfois surgir. Particulièrement fécond au XIXe siècle, quand les républiques sud-américaines ont créé le mot caudillaje pour désigner leur mode de gouvernement, le type s'est maintenu jusqu'à une date récente dans l’univers hispanique : à sa mort, en novembre 1975, Francisco Franco portait encore le titre de Caudillo de España y de la Cruzada. Caudillo d'Espagne et de la Croisade.

Le type du caudillo, populaire mais négligé par les sciences sociales, a été déconsidéré en partie par l’intérêt romanesque qu’il a suscité, et les romanciers — français et hispano-américains — s’y sont intéressés bien davantage que les historiens ou les politologues. La littérature, la pire et la meilleure, a puisé dans ce stock tout un lot de personnages et d’histoires vraies qu’elle s’est efforcée de rendre vraisemblables.

Il est sûr que le destin de ceux qu’on peut désigner sous ce vocable adopta bien souvent des formes théâtrales. En Bolivie, en 1863, le général Melgarejo — qui inspira à Pierre Drieu La Rochelle le héros de son Homme à cheval — se débarrassa du général Belzu, son rival, lors d'un duel au pistolet dans l’une des salles du palais présidentiel. Sous les balcons, les partisans de l'un et de l'autre attendaient l'issue d'un combat qui leur donnerait des prébendes, ou les destituerait.

L'archétype est donc apparu aussitôt nimbé d'une étrange auréole. Car l'être qui dirige ne devient caudillo qu'une fois créé le mythe sur lequel se fonde son autorité. Le dit et l’écrit, anecdotes fabuleuses, chansons, récits anciens, tout ce matériau — un terreau de croyances et de représentations s’appliquant à certaine forme de pouvoir — qui modèle une place unique que plusieurs occuperont à leur tour, voilà ce qui permet l’existence de caudillos. (...)

Comment et quand Vargas emploie-t-il le terme caudillo ? Dans l’ensemble du Journal, on en compte 24 occurrences (ce qui est peu), 20 formes caudillo/caudillos, et 4 du verbe acaudillar sous sa forme active et adjectivée. Caudillo, comme acaudillar étaient employés couramment dans l’univers hispanique, le dictionnaire de Covarrubias Orozco [1611] en témoigne, comme celui, hispano-français, de César Oudin [1675] qui traduit caudillo par chef, capitaine.

(...)

Un peu plus qu'un simple chef militaire, donc, voire bien plus qu'un simple dirigeant : un "caudillo" est quelqu'un qui "en impose", l'objet quasiment d'un culte, ou à tout le moins, d'une admiration ou d'une fascination sans bornes : c'est ce qu'on appelle un homme providentiel.

Pour nous en tenir à l'acception moderne, voire contemporaine du terme, retenons que, qu'il soit ou non d'origine militaire, le caudillo qui veut jouer les hommes providentiels se doit de tomber le masque, je veux dire l'uniforme, surtout s'il envisage de se présenter à des élections disons... démocratiques (comme s'il pouvait exister d'élections non démocratiques ! Mais je me comprends !). Parce qu'un dictateur venu au pouvoir par coup d'État n'a nullement besoin de se déguiser en civil. La plupart le font, pourtant, histoire de rassurer ?

Un avis particulièrement intéressant sur la figure du caudillo nous est livré par un écrivain cubain répondant au patronyme de Canek Sánchez Guevara. Guevara, comme son grand-père, l'illustre Ernesto Che Guevara. Sanchez Guevara à propos d'Hugo Chavez :

Hugo Chávez es un personaje muy extraño. Es una mezcla de caudillo latinoamericano, peronista y guerrillero en tiempos de paz. Utiliza todas las instituciones de la democracia para aniquilar principios fundamentales de la propia democracia. Es un personaje difícil de encasillar, pero a final de cuentas queda claro que es un pobre rico. La alianza entre Cuba y Venezuela es, para La Habana, económica, y para Caracas, política.

Hugo Chavez est un personnage très étrange. C'est un mélange de caudillo latino-américain, de péroniste et de guerillero, en temps de paix. Il utilise toutes les institutions de la démocratie pour détruire les principes fondamentaux de la démocratie elle-même. Il est difficile à classer, mais au final, il est clair que c'est un pauvre riche. L'alliance entre Cuba et le Venezuela est, pour La Havane, d'essence économique et, pour Caracas, d'essence politique.

Comme chacun sait, Hugo Chavez est parvenu au pouvoir d'abord comme putschiste, puis il s'est converti à la démocratie élective, tout en tentant de manipuler les institutions à son profit, sous la forme de plébiscites plus ou moins réussis. Il reste un excellent modèle du caudillo latino-américain, modèle ayant essaimé un peu partout dans le monde.

Précisément, le jeune Guevara évoque le péronisme et la guerilla. Perón : chef suprême et adoré, la guerilla, mouvement de libération nationale composé de héros, dans lequel va pouvoir se construire le mythe de l'homme providentiel. Les exemples abondent : voyez Simon Bolívar, voyez Augusto Sandino, voyez Castro et ses barbus installant leurs bases dans la mythique Sierra Maestra.

Le statut de libertador, de libérateur, est une des faces essentielles du personnage du caudillo, qui va lui servir de viatique pour asseoir sa légitimité, même et surtout en l'absence de démocratie, viatique que l'on pourrait résumer en un slogan : "J'ai libéré le pays, cela m'octroie le droit de le diriger... à ma manière !"

Les guerres de libération..., en voilà une mine d'or pour tous les caudillos et aspirants conducators de la terre. Ils ont résisté à l'envahisseur ou au colonisateur et, en tout cas, ont pris une part fort active à la sauvegarde de l'intégrité de la nation, ou alors ils ont été la cheville ouvrière de l'accession à l'indépendance : au hasard, Staline, Mao, Tito, Nasser, Sékou Touré, Jomo Kenyata, Khadafi...

Et puis, un jour, en France, des journalistes ont eu droit à cette réplique :

Mais pourquoi voulez-vous qu'à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ?

On aurait pu lui répondre que 1) les chiens ne font pas de chats, et que 2) il n'y a pas de fumée sans feu !

Nous sommes en 1958. Source : wikipedia
  • 15 mai : Le général de Gaulle se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République.
  • 16 mai : L’Assemblée nationale instaure l’État d’urgence. Les pouvoirs spéciaux en Algérie sont renouvelés.
  • 19 mai : Conférence de presse du général de Gaulle : il prévient qu’il ne reviendrait pas au pouvoir « selon les rites habituels » et déclare : « Moi seul, je peux sauver la France. »
    21 mai : Le parlementaire Georges Bidault (M.R.P.) annonce son ralliement au général de Gaulle.
  • 22 mai : Antoine Pinay annonce son ralliement au général de Gaulle.
  • 24 mai : Des comités de salut public sont constitués en Corse à l’instigation d’envoyés d’Alger.
  • Dans la nuit du 26 au 27 mai: Rencontre entre De Gaulle et Pflimlin à Saint Cloud.
  • 27 mai : Le général de Gaulle se démarque des nombreuses velléités putschistes de certains militaires français et traite de « braillards d’Alger » les hommes du 13-mai.
  • 28 mai : Démission du président du Conseil Pflimlin et fin de son gouvernement.
    Une grande manifestation antifasciste « pour la défense de la République » est organisée à Paris avec en tête du cortège François Mitterrand, Pierre Mendès France, Jacques Duclos et Édouard Daladier. Le même jour, Coty, dépassé par les événements, charge les présidents des deux assemblées de prendre contact avec de Gaulle.
  • 29 mai : Alors que pèse la menace d’un putsch, le général Charles de Gaulle accepte de former le gouvernement et rassure en disant : « Pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ? »
1958/62. Un général de brigade, obnubilé (depuis au moins 1946 ; cf. le discours de Bayeux) par une carrière politique, va réussir à instaurer en France un régime directement inspiré du modèle sud-américain. Il se trouve qu'il est auréolé du prestige de libérateur, donc d'homme providentiel (l'homme de l'appel du 18 juin 1940) et de sauveur de la nation. Il possède, donc, tous les attributs du parfait "caudillo", et à l'instar de tous ses modèles, notamment sud-américains, il pense que cela lui vaut des droits, notamment celui de diriger, que dis-je !, d'incarner la nation. Et il ne comprend pas que l'on puisse (déjà !) le suspecter d'intentions anti-démocratiques.

1962 : inscription, dans la Constitution, du principe de l'élection du président de la République au suffrage universel, faisant de la France un des rares exemples de régime autocratique ouest-européen (avec l'Espagne de Franco, le Portugal de Salazar et Caetano, puis la Grèce des Colonels, même si ces derniers n'étaient pas élus !) de la deuxième moitié du XXème siècle. Espagne, Portugal et Grèce renoueront avec la démocratie parlementaire, laissant la France comme seul régime "sud-américain" d'Europe occidentale, ayant directement ou indirectement inspiré la quasi-totalité des "démocratures" africaines, continent où l'on ne trouve pas un seul régime parlementaire au sens "britannique" du terme.

Pour mémoire, le "règne" de De Gaulle s'achévera en 1969, à la suite de la tentative avortée d'une réforme portant sur la régionalisation et le Sénat. Le grand homme, conformément à un poncif cher aux caudillos, a voulu se lancer dans un bras de fer, mettant sa démission dans la balance. Peine perdue. Le libérateur de la France, le "sauveur de la nation", n'a pas dû comprendre ce qui lui arrivait. Il ne survivra qu'une petite année à sa disgrâce.

Un simple coup d'oeil sur la dispersion des régimes caudillesques à travers le monde montre qu'en ce début du XXIème siècle, il n'en reste pas un seul en Europe occidentale, France exceptée, mais qu'ils prolifèrent dans le monde ex-soviétique, tout comme ils sont devenus une spécialité des "démocratures" d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud. Leur principale caractéristique est facile à identifier : effacement des partis politiques au profit de chefs supposés charismatiques, allergie envers le modèle parlementaire, le gouvernement étant dirigé par un premier ministre fantoche et le parlement n'étant qu'un organe d'enregistrement de lois initiées par un président qui décide d'à peu près tout.

Autres spécialités des régimes caudillesques : les barbouzardises en tous genres (ex. en ce moment même, le journaliste Pierre-André Kieffer est toujours porté disparu en Côte-d'Ivoire et d'autres journalistes tombent comme des mouches en R.D.C., sans oublier les "ennuis" divers et variés survenant à des opposants, journalistes ou militants des droits de l'Homme, un peu partout en Afrique). Inconcevables dans tout régime authentiquement démocratique, comme le sont les Etats d'Europe occidentale - France exceptée -, où elles conduiraient automatiquement à la chute du régime, ces barbouzardises prolifèrent là où les lois n'existent que de manière virtuelle ou théorique, dès lors que le parlement, censé les élaborer et les voter, est sous la coupe de l'exécutif, contrairement au principe de la séparation des pouvoirs. Faut-il s'étonner qu'en France, par exemple, avec l'instauration du régime caudillesque de De Gaulle, l'on ait assisté à la prolifération de toute une série d'affaires crapoteuses, rarement élucidées, de la disparition d'un opposant marocain, Mehdi Ben Barka, en plein Paris, à l'attentat contre Greenpeace, en Nouvelle Zélande, sans oublier les disparitions plus que suspectes de dignitaires politiques comme Robert Boulin ou Joseph Fontanet, des écoutes téléphoniques organisées depuis le palais de l'Elysée, en passant par les accointances entre la France et tant de dictateurs du Tiers-monde, notamment dans d'anciennes colonies africaines (cf. La françafrique), dont les dirigeants ont souvent été installés au pouvoir dans le plus parfait mépris des règles démocratiques (cf. la liquidation physique des démocrates camerounais afin d'installer un régime dictatorial toujours en place.). Le fait est qu'à lui seul, le régime instauré par de Gaulle et prolongé par ses successeurs totalise plus de barbouzardises (pensons à l'escapade de Bob Denard aux Comorres, au massacre du métro Charonne ou à celui de la Grotte d'Ouvéa, en Nouvelle Calédonie...) que la totalité des autres pays membres de l'Union Européenne !

Autre chose ? S'il est un sport fort apprécié dans les régimes caudillesques, c'est celui consistant à prendre prétexte du moindre soubresaut social pour mettre entre parenthèses les institutions républicaines et permettre au caudillo de s'octroyer les pleins pouvoirs... Bien évidemment, tout cela est emballé dans un beau jargon de formules creuses et particulièrement floues, destinées à noyer le poisson...

Constitution de la Vème République - Art. 16.

Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L' Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Après trente jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.